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Dix histoires noires, oscillant entre l’enquête policière et le

thriller, auscultent les relations qui se tissent entre des gens,

en apparence, ordinaires.

Que les relations soient familiales, amicales, amoureuses,

professionnelles ou sociales, il arrive un moment où le vernis se craquèle, où les secrets enfouis émergent, où les émotions contenues éclatent, où les pulsions refoulées jaillissent,

entraînant des actes spontanés ou réfléchis, aux conséquences parfois définitives.

Le thé, en cheminant d’une histoire à l’autre, sert de fil

conducteur entre les différents personnages.

Chacun le dégustera à sa manière. Certains s’en serviront

pour méditer, d’autres pour se préparer à l’action, d’autres

encore pour goûter un repos mérité…

Mais tous lui reconnaissent le pouvoir d’alléger un peu la

noirceur du monde.

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ISBN: 978955542750

 

Histoires noires autour d'une tasse de thé

Bancha (extrait)

 

Sur la table de la salle d’interrogatoire, le commissaire Jules Marrant griffonne quelques notes sur son carnet.

Face à lui, Vincent Villain, un grand gaillard baraqué comme un joueur de rugby, la tête penchée en avant, suit avec attention le déplacement du stylo sur le papier.

Ce mouvement tantôt rapide, tantôt hésitant, revenant en arrière, raturant un mot, le remplaçant par un autre puis reprenant sa course saccadée, lui rappelle sa mère lorsqu’elle remplissait les pages de son journal intime.

Bien avant qu’il sache lire et découvre le sens des mots révélé par l’écriture, Vincent était fasciné par les lettres de l’alphabet.

Le dessin distinctif des majuscules et des minuscules, la différenciation des voyelles et des consonnes, leur capacité à s’assembler pour former des mots puis des phrases, constitue pour Vincent non seulement la base de toute œuvre artistique, mais aussi un prodige qui transforme chaque page d’écriture en un objet précieux.

Le commissaire en est-il conscient ? Vincent hésite à lui poser la question. Il ne le connaît que depuis ce matin. Le policier est entré chez lui et l’a invité à le suivre. Quelque chose, dans le comportement de cet homme, au visage fatigué, lui inspire confiance. Sans doute, le fait qu’il écrive devant lui sans se cacher. 

Quand Vincent était enfant, son spectacle favori consistait à regarder sa mère tracer des signes indéchiffrables sur le papier. Chaque soir, avant le repas, Christiane Villain se livrait à un rituel immuable. Après s’être trempée dans un bain parfumé à la lavande, elle enfilait un peignoir en satin blanc, dénouait le chignon sévère qu’elle arborait dans la journée et, devant son miroir, balançait la tête de droite à gauche en faisant voler, comme les ailes d’un grand oiseau, ses longs cheveux noirs jusqu’à ce qu’ils enveloppent ses épaules avec la grâce d’une feuille morte atterrissant, au ralenti, au pied d’un arbre.

Ensuite, elle préparait un Bancha, thé vert du Japon, riche en fer, réputé pour ses apports en minéraux et oligoéléments et son pouvoir désacidifiant. Idéal pour soulager l’estomac sensible de Christiane et apaiser ses intestins au transit souvent perturbé. Elle plaçait sur un plateau la théière en fonte, une tasse en grès cérame et portait le tout dans sa chambre. Elle s’installait à son bureau, ouvrait un grand cahier à la couverture bleue, ôtait le bouchon de son stylo noir, orné de cercles dorés, et notait, avec  une précision d’orfèvre, les événements de la journée écoulée et les pensées diverses qui l’assaillaient et continueraient de tourner dans sa tête tant qu’elle ne les aurait pas déposées dans son journal intime. Entre deux paragraphes, elle saisissait la tasse de thé, en avalait une gorgée, et, les yeux mi-clos, se laissait emporter par les saveurs de mûre, de bois sec et de vanille soulignées de délicats arômes marins et d’une note végétale à la douceur exquise. Ainsi, elle goûtait au plaisir, hélas éphémère, de se sentir libre et sans attache, ou plutôt sans boulet à traîner.

 Le boulet en question se nommait Vincent. Assis sur les genoux de sa mère, il ne se lassait pas d’admirer le tracé fluide de la plume métallique, courant ligne après ligne, remplissant les pages d’une écriture violette, fine et nerveuse, en émettant un chuintement, semblable à la caresse d’une fleur, si léger qu’il fallait avoir l’ouïe transparente pour le percevoir.

Il demandait :

− Qu’est-ce que tu écris, maman ?

Elle répondait :

− Tu es bien curieux.

Il insistait :

− Oui, mais qu’est-ce que tu écris ?

Elle soupirait :

− Des secrets, rien que des secrets.

Il voulait savoir :

− Les secrets, c’est comme des histoires ?

Elle esquissait un sourire sans joie et le posait au sol :

− Des histoires de grandes personnes. Va plutôt lire les tiennes.

Les histoires que « lisait » Vincent étaient celles des bandes dessinées du journal de Mickey que sa mère lui achetait pour l’occuper.

− Regarde les dessins pendant que je prépare le repas. Je n’en ai pas pour longtemps.

Vincent ne se souvient pas avoir appris à lire. Un jour, comme par magie, les signes abscons, enfermés dans les bulles au-dessus des personnages, ont pris sens et les dessins se sont mis à parler, racontant une histoire parfois différente de celle qu’il avait imaginée.

Tout heureux, il s’était précipité vers sa mère :

− Maman, écoute !

Christiane l’avait écouté avec attention. Elle l’avait même félicité en le gratifiant de ce sourire triste qu’il avait appris à reconnaître. L’impression vague d’avoir commis une imprudence s’était confirmée dès le lendemain quand sa mère lui avait refusé l’accès à ses genoux avant d’ouvrir son journal intime.

− Désolée Vincent, tu es grand maintenant. Ce que je note dans mon cahier est très personnel. Personne n’a le droit de le lire.

Vincent, fort de ses quatre ans, avait tenté de négocier :

− Mais moi, je ne suis pas personne.

Elle avait répondu sans le regarder :

− C’est la règle et c’est la même pour tout le monde.

Il lui avait rappelé l’évidence :

− Mais moi, je suis ton fils.

Elle avait porté la tasse de thé à ses lèvres :

− N’insiste pas !

​

(à suivre...)

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