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http://lecritoiredesmuses.hautetfort.com/archive/2019/06/27/histoires-noires-autour-d-une-tasse-de-the-6160637.html

 

Histoires noires autour d’une tasse de thé
Jacques koskas
Editions Vivaces (2019)

 

(Par Annie Forest-Abou Mansour)

 

Dans Histoires noires autour d’une tasse de thé, Jacques Koskas, psychanalyste, psychomotricien et écrivain, propose à son lectorat dix nouvelles, réalistes pour la plupart. Chacune d’elles, récit ou discours, décrit des pans de vie, des souffrances individuelles souvent masquées qui rejaillissent un jour ou l’autre.

Le titre du recueil, tout comme celui aux connotations exotiques des différentes nouvelles, incite d’emblée à la lecture. « Histoires noires », histoires sombres et ténébreuses comme l’inconscient blessé, histoires d’un monde intérieur et/ou extérieur violent, regard tragique porté sur certains vécus, histoires noires, nouvelles noires, genre noir, histoires à suspens, histoires de meurtres. « Autour d’une tasse de thé » : le thé aux différentes nuances d’arômes, de couleurs, de saveurs, (« saveurs de mûre, de bois sec et de vanille soulignées de délicats arômes marins et d’une note végétale à la douceur exquise » du thé Bancha, le « vert et bleu (qui) exhale un parfum boisé au goût de cannelle et de réglisse » du Tie Guan Yin), moment privilégié du quotidien, temps de partage ou de déréliction, fil conducteur des histoires, lien entre les divers personnages en apparence ordinaires, lisses, sans drame particulier, qui brusquement basculent. Les traumas et les émotions longtemps refoulés, étouffés, se réveillent, surgissent du plus profond de la psyché, emportant l’être. Le thé devient une drogue pour son consommateur, « Le thé, c’est sa drogue », une aide pour résister aux estocades de la vie : « boire du thé constituerait le remède miracle aux souffrances et aux catastrophes », un moyen pour trouver la sérénité : « Le goût de pain chaud et de fruits secs mêlés aux notes végétales qui emplissent sa bouche l’apaise »... Chaque thé, unique, requiert un temps et un degré d’infusion précis : « (...) le Matcha Genmaicha, mélange de poudre de Matcha et de thé au riz brun grillé, infusé pendant deux minutes et demie dans une eau à 75° », le « Bai Mu Dan ou Pivoine blanche (….) infuse « huit minutes (…) à 80° », le « Thé des amants (…) Thé noir parfumé à la pomme, l’amande, la cannelle, la vanille et une pointe de gingembre. Quatre à cinq minutes d’infusion dans une eau à 95 degrés »… Chacun le savoure à sa manière, selon ses états d’âme, ses besoins, son ressenti du moment.

La plupart des personnages des nouvelles a un parcours ordinaire. Pourtant, à un moment donné, l’intrigue dérape révélant une facette inattendue des protagonistes. Dans la nouvelle « Sencha », Monsieur William est présenté dans l’incipit, comme un vieil homme, banal, apparemment sans histoire, ayant une alimentation équilibrée (« (…) tartine aux céréales complètes nappées d’une couche de miel garanti bio » (…) », utilisant des produits sains, «  sur son visage quelques gouttes d’une lotion à l’aloe vera ». Il possède un aspect très conformiste : il « s’habille comme pour se rendre à un mariage ou un enterrement, les deux événements étant soumis au même code vestimentaire, pour les hommes en tout cas ». Mais très vite, des indices font naître le mystère et éveillent la curiosité du lecteur : « Monsieur William ne peut s’empêcher de se demander si la jeune femme continuerait à se montrer aussi prévenante envers lui si elle savait ce qu’il cachait dans son armoire à côté du revolver ». Que cache-t-il ? Pourquoi un revolver dans l’armoire d’un fragile vieillard ?

Un jour, tout a basculé dans la vie de ces gens qui nous ressemblent ( « (…) il peut affronter le souvenir de ces jours où tout a basculé »), les bouleversant, les suppliciant, transformant leur vision du monde, de la vie, leur comportement, entraînant des troubles psychiques, cicatrices mentales prêtes à s’ouvrir au moindre souvenir ou événement douloureux, réapparaissant pendant le sommeil sous forme de cauchemars réitérés. Dans « Perles de jasmin », Cécile, la narratrice, rattrapée par son passé depuis la libération de son agresseur, revit une souffrance incoercible chaque nuit : celle de l’enlèvement de la petite fille qu’elle a été : « C’est la petite fille qui a mal. La petite fille de six ans qu’un dingue avait enlevée ». Le cauchemar, message de l’inconscient, met en scène les affects de la fillette mise en danger il y a fort longtemps ne laissant pas indemne l’adulte actuelle.

Outre le cauchemar, le fantasme, quant à lui, n’est pas seulement accès à l’intériorité des personnages, il est aussi mise en récit, présenté comme une expérience réelle, vécue. Avec une écriture où se croisent la psychologie, la psychanalyse, la poésie, la littérature, l’écrivain met en mots et en scène les fantasmes comme dans « Thé fumé du Malawi ». Il propose tout un scenario imaginaire où le Jardinier assouvit et réalise ses fantasmes pour satisfaire les désirs de la défunte Martha tant aimée, inoubliée et inoubliable : « … Il faut éradiquer cette vermine, supprimer ces erreurs de la nature, les faucher sans pitié ! Promets-le-moi !  ». L’imagination permet l’accomplissement des désirs les plus délirants.

les Certains personnages, de surcroît loin de l’univers de la délinquance, un avocat comme Bernard  dans «  Earl Grey », un chirurgien comme monsieur William, ne se contentent pas de rester dans l’imaginaire, ils deviennent, quant à eux, réellement des meurtriers. Leur souffrance étant trop intense.

Jacques Koskas ne rédige pas d’ouvrages théoriques et didactiques expliquant les traumatismes, leurs causes et leurs conséquences. Par l’écriture romanesque, par le point de vue interne, par le monologue intérieur, il fait vivre les troubles de ses protagonistes au lecteur. Il permet de non seulement de comprendre leurs causes (la mort du foetus, le garçon rejeté par sa mère, le viol et la relation de confiance bafouée, la jalousie, la GPA, le décès du père tant aimé ...), leurs dérives, mais surtout de ressentir ce qui se passe dans la tête et le coeur d’une personne traumatisée. Il dévoile les souffrances intérieures. Le lecteur, se glissant à l’intérieur du personnage, sent ce qu’il ressent. Il est concerné, impliqué. Il atteint l’intime du personnage et l’éprouve intensément.

Jacques Koskas part de son expérience professionnelle pour aboutir à l’écriture, donnant un visage à des consciences et à des coeurs blessés dont il sonde les replis avec talent. Il joue avec des intrigues bien ficelées et avec le suspens, tricotant enquêtes policières, thriller, psychologie et parfois merveilleux. Dans la chute de la nouvelle « Tie Guan Yin », le lecteur, piégé par l’habileté de l’écrivain, découvre que le narrateur est un papillon. L’écrivain manie astucieusement les effets de surprise déroutant un lecteur qu’il suppose cependant aussi averti que le climatologue de la nouvelle « Bai Mu Dan », capable de percevoir les indices semés dans le texte  : « Tout l’intérêt de ma lecture consistait à repérer les indices cachés au fil des pages afin de découvrir l’identité du tueur avant que l’auteur ne le révèle dans un éblouissant numéro de prestidigitateur ». Jacques Koskas, lui aussi véritable prestidigitateur, parsème des indices. Dans le chapitre,  « Tie Guan Yin », la comparaison des doigts de la femme avec les pattes d’une sauterelle (« ses longs doigts fins aux articulations aussi délicates qu’une patte de sauterelle »), trahit la vision d’un insecte, le comparant appartenant à son univers de référence. La périphrase (« j’ai la faiblesse de penser que, portant le nom du dieu de la beauté (...) ») suggère, comme la phrase métaphorique (« Mon occupation favorite consiste à taquiner la muse, à la manière des Parnassiens, en puisant mon inspiration parmi les fleurs des jardins que je visite ») non seulement le prénom du locuteur mais aussi qu’il appartient à la famille des Papilionidae. L’auteur jongle avec la stratégie narrative, colore son texte d’éléments ambigus, travaille les figures de style. Dans « Thé des moines », la personnification des vêtements puis des objets annonce la révélation du viol : « (….) le four exhibe sa gueule noire. Sur la table, les assiettes se chevauchent sans pudeur (...) ».Le romancier manipule habilement les détails, les indices, les figures de style. Il crée tout un univers nourri autant de phantasia que de mimésis.

Histoires noires autour d’une tasse de thé de Jacques Koskas : des histoires émouvantes capables tout à la fois de faire réfléchir et de faire rêver. Le plaisir d’écrire de l’auteur entraîne le plaisir de lire. Le plaisir du texte pour reprendre une expression de Roland Barthes !

 

Du même auteur :

- 18 rue du parc (2014)

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-La liste de Fannet (2015)

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