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    Comment Florentine, 15 ans, a-t-elle réussi à grimper, sans accessoires, sur un trapèze à plus de six mètres au-dessus du sol ?

 Pourquoi refuse-t-elle d’en descendre ?

    Par quel sortilège une végétation toujours plus dense, mêlant plantes indigènes et plantes exotiques, envahit-elle l’espace autour de sa maison ?

   Léontine (détective très privée) trouvera-t-elle la réponse à ces questions afin d’arriver à l’heure au dîner que donne sa grand-tante Roberte ?

     M. Croton (véritable encyclopédie ambulante) l’aidera-t-il ?

 

Roman jeunesse

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ISBN: 978955542712

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La fille sur le trapèze

extrait

 

1
23 septembre,18 h 30.


Équinoxe d’automne. Aujourd’hui, et aujourd’hui seulement, la durée du jour égale celle de la nuit. Il faudra attendre six mois pour que cet événement se reproduise, songe M. Croton en scrutant le ciel encombré de nuages. D’un geste machinal, il serre le frein à main et coupe le contact, interrompant le ballet des essuie-glaces sur le pare-brise parsemé de gouttes de pluie. Tout autour, le paysage s’assombrit. La nuit ne tardera pas.
M. Croton ajuste son bonnet et remonte son écharpe avant d’ouvrir la portière de la voiture. Lentement, sa longue silhouette se déploie à l’extérieur.
− Nous sommes arrivés, mademoiselle.


D’un bond, Léontine Lefossoyeur (la fameuse détective privée), jaillit du véhicule. Une Méhari 4x4. Un des rares modèles encore en circulation parmi les mille deux cent treize exemplaires produits entre 1979 et 1983. Autant dire une antiquité, convoitée par les collectionneurs, jalousement entretenue par M. Croton.
Le temps presse. L’appel téléphonique reçu il y a moins d’une heure semblait aussi étrange qu’alarmant. À vrai dire, cette affaire tombe on ne peut plus mal. Léontine Lefossoyeur est invitée à dîner chez sa grand-tante Roberte à vingt heures trente précises. Il serait inconvenant qu’elle arrive en retard.


Tout en se hâtant, la détective note un élément intrigant dans le paysage. Elle en avait entendu parler sans y prêter attention. Mais, là, elle ne peut l’ignorer. Une végétation d’une densité exceptionnelle recouvre le domaine du Comte Dubailly transformant en jungle luxuriante le parc qui entoure la maison. Herbes sauvages, graminées, palmiers, seringas, jasmins, magnolias et camphriers communs, serrés les uns contre les autres comme des cheveux sur un crâne, voisinent avec des espèces mystérieuses, à la présence incompréhensible dans cette région brûlée par le soleil et le vent. À voir les plantes pousser et se multiplier à une vitesse effrayante, certaines rumeurs évoquent, à mi-voix, un enchantement obscur venu du fond de la terre. M. Croton, indifférent aux délires superstitieux de quelques exaltés friands de sorcellerie, explique, à qui veut l’entendre, que la proximité de la rivière, longeant la propriété, ajoutée à la chaleur du climat provençal, contribuent, naturellement, au développement exponentiel de la végétation.

− Exponentiel ? répète Léontine.

− Rapide et continu, si vous préférez, mademoiselle.

− J’avais compris, Croton. Mais si le soleil brille trois cent cinquante jours par an, la rivière, elle, est à sec onze mois sur douze.

− Étrange, en effet, reconnait Croton en resserrant son écharpe, élément indispensable de sa panoplie vestimentaire (nous en reparlerons plus tard).

 

Léontine longe le portail en fer forgé encastré entre deux énormes cyprès. Voilà des années que plus personne ne l’emprunte. Rongé par la rouille, il sert de tuteur aux branches torturées d’une vieille glycine que le vent a plantée à son pied, par mégarde. Autrefois, les deux battants s’ouvraient, en grinçant, sur l’allée principale, bordée d’oliviers. Aujourd’hui, devenue impraticable, les dalles fendues, déformées par les racines d’arbres gigantesques, la voie est ensevelie sous un amas de plantes tapissantes mêlées aux aiguilles de pin et aux feuilles mortes, que personne, aussi étrange que cela paraisse, ne s’avise de ramasser.


D’après les bruits qui courent, il serait interdit de toucher au moindre brin d’herbe dans la propriété depuis ce qu’on appelle l’accident, survenu il y a une dizaine d’années. Cela suffit-il à expliquer l’abondance démesurée de cette végétation ? Léontine donne une petite tape sur son chapeau. Si elle avait le temps, elle s’attarderait sur ce phénomène. Mais elle dispose d’à peine deux heures pour résoudre l’enquête qui l’amène et filer chez sa grand-tante Roberte, intransigeante sur les horaires.


À côté du portail, un passage, taillé dans une épaisse haie de lauriers, débouche sur un chemin de terre cabossé. Léontine s’y engouffre, suivie de M. Croton. Comment ce bout de femme (à peine un mètre cinquante-six, chapeau compris) s’y prend-elle pour marcher aussi vite sur ses courtes jambes, un sac de montagnards sur le dos ? M. Croton n’a toujours pas trouvé de réponse à cette question. Mais il ne désespère pas. M. Croton est du genre tenace.


À grandes enjambées, il s’efforce de rattraper Mlle Lefossoyeur qui slalome entre les flaques d’eau, les amas de pierres et les touffes de genêts hautes de plusieurs mètres, embaumant l’air de leur parfum sucré.
Une fois de plus, M. Croton constate, en son for intérieur, que la silhouette de la détective, boudinée dans son éternel tailleur gris, ressemble à une succession d’immenses parenthèses empilées les unes sur les autres, donnant à sa démarche l’allure d’arabesques, plus ou moins élégantes. Il ne le dira jamais à personne. M. Croton cultive le secret autant que la prudence.


Brusquement, Léontine s’immobilise devant un arbuste, en partie masqué par les branches dansantes de goras aux fleurs blanches :
− Connaissez-vous le nom de cette plante, Croton ?
Le souffle court (l’assistant de Léontine est atteint d’une forme rare d’insuffisance respiratoire qui ne se déclenche qu’en présence de Mlle Lefossoyeur), M. Croton répond, la main serrée sur sa poitrine pour apaiser ses poumons malmenés :
− Un arbousier, mademoiselle. On l’appelle l’arbre aux fraises. Plante sacrée chez les Romains. Présent sur le blason de la ville de Madrid en compagnie d’un ours. Et aussi, dans la peinture Le Jardin des délices de Jérôme Bosch, dite la peinture de l’arbousier.
− Voilà ce que j’aime en vous, mon ami, sourit Léontine, en remontant son sac à dos, vous savez tout sur tout. Wikipédia ne vous arrive pas à la ceinture.
Modeste, M. Croton hoche la tête de façon imperceptible en mordillant son écharpe. Inutile de faire part à Léontine de sa préoccupation concernant les grappes de pétales violacés qu’il aperçoit, émergeant au-dessus d’un massif de phlomis. Que les lilas soient encore épanouis en cette période de l’année est pour le moins curieux. De quoi alimenter les rumeurs sur les prétendus sortilèges à l’origine de la végétation exubérante du domaine, abondante et fleurie en toutes saisons.

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(à suivre...)
 

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