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  Que penser de ces scènes de crime agencées comme des installations d’art contemporain au goût

macabre ?

   Le commandant Hyppolite Mangin, mis au défi de déchiffrer leur message, se trouve confronté, en même temps, au retour dérangeant de souvenirs d’enfance, longtemps refoulés.

  Les interprétations des "équivalences symboliques", que lui propose  le Dr Noiraud, l'aideront-elles dans son enquête ?

   Mêlant analyse psychologique et humour noir, ce roman aborde le sujet sensible de l'abandon à travers une réflexion sur le processus de résilience

 

ISBN: 978955542705

​

La liste de Fannet

Prologue

 

11 mai 1981 - 1 h 15

 

Une sueur glacée poisse ses cheveux, brûle ses yeux, creuse la rigole entre ses seins douloureux, ruisselle jusqu’au bas du dos.

Sous sa fenêtre, cris, rires, musiques, fracas secouent la place. Sono saturée, guitares survoltées, percussions endiablées déchaînent la foule venue crier victoire.

Son cœur cogne contre ses paupières, ses oreilles, sa gorge, jusqu’au bout de ses doigts, de ses orteils, de ses ongles. Cœur prisonnier de ce ventre gonflé, cahoté sous l’assaut d’interminables déferlantes.

A genoux sur le carrelage, une moiteur d’orage la fait frissonner.

Sur la place, les pétards éclatent. Les vitres tremblent. On chante. On danse. Des fils de lumières explosent dans le ciel noir. Étincelles. Couleurs. Clameurs. Ovations.

Dans la cuisine, l’obscurité l’enveloppe d’un manteau illusoire. Les larmes sillonnent son visage. Le souffle saccadé, elle gémit entre ses dents serrées.

Ne pas hurler.

Son ventre descend lourd et plein entre ses cuisses ouvertes. Ombre fantomatique, le visage mélancolique de sa mère flotte devant ses yeux embués. Se pelotonner contre sa poitrine, respirer son parfum fruité, s’endormir la tête posée dans le creux de son cou, ignorer, pour un instant, la brutalité du monde.

Surtout ne pas hurler.

A travers la fenêtre, le ciel s’illumine de mille feux, embrasant le plafond, enflammant les murs, liquéfiant la terre cuite des tomettes rouges sous ses genoux.

Mille étoiles s’éteignent dans ses yeux au moment où ses intestins se vident, où son ventre s’affaisse dans une brûlante déchirure, où mille aiguilles de jouissance bestiale, incongrue, explosent dans son crâne.

Cri. Vertige. Délivrance…

Entre ses cuisses, une boule chaude, visqueuse, a glissé, suspendue à un cordon de chair vive.

Entre les murs de la cuisine, une respiration haletante martèle l’espace, couvrant le tumulte du dehors.

 

 

Chapitre 1

​

Trois décennies plus tard

Vendredi 11 mai 2012 - 15 h

 

− …les fenêtres donnent sur le jardin. Le charme de la campagne au cœur de Paris. Cet hôtel particulier du XVIIIe vient d’être restauré par un milliardaire qatari, fou de belles pierres. Une merveille. Les intérieurs ont été redessinés par Merconni, le génie italien de l’architecture. L’union parfaite entre l’authentique, indémodable, et le confort, indispensable. C’est libre, mais vous vous en doutez, je croule sous les demandes… 

Les lèvres de Béatrice Ravner, aussi rouges que son tailleur de laine vierge, s’entrouvrent sur des dents éclatantes. Sa peau satinée, nourrie de crèmes plus hydratantes les unes que les autres, convertirait au cannibalisme le végétalien le plus farouche. Comédienne aguerrie, elle joue chaque moment de sa vie à l’endroit d’un public sans cesse à conquérir. Rude travail, mais les résultats sont là. Son agence, Richesse Immobilière, affiche une santé insolente.

Elle observe la jeune femme qui visite l’appartement. La trentaine nonchalante, grande, mince, presque maigre, le visage osseux barré par de grandes lunettes noires, un peu trop maquillée, sans doute pour affiner des traits manquant de grâce. Des cheveux d’un noir corbeau frôlent ses épaules. Toute de noir vêtue : pantalon et chemisier à la coupe impeccable, sous un grand imperméable au col relevé. Les mains gantées de noir. Le genre de femme qui ne pointe pas à Pôle Emploi. La cliente idéale.

‒ Magnifique, n’est-ce pas ?

La voix de Béatrice Ravner, rompue à l’art de la persuasion où l’affirmation péremptoire s’insinue sous des formes interrogatives banales, convaincrait l’écologiste le plus ombrageux de l’innocuité totale du réchauffement climatique.

La jeune femme avance les lèvres en une moue enfantine en remontant les brides de son sac sur son épaule. Voix grave, presque rauque, accent étranger. Espagnole ?

‒ Orientation Ouest, avez-vous dit ?

Béatrice Ravner affiche son sourire ensorceleur.

‒ La plus agréable. Vous profitez du soleil l’après-midi et l’absence de vis-à-vis vous assure d’occuper les premières loges au moment où il disparaît derrière les arbres centenaires du jardin.

L’affaire sera conclue ce soir. Béatrice ne se trompe jamais. Sous sa conduite, le moindre réduit sous les toits prend l’apparence d’une demeure princière et l’échoppe décrépite perdue au fond d’une cour resplendit des feux de la caverne d’Ali Baba. Chaque transaction représente un défi. Enjôler son interlocuteur jusqu’à la signature finale la rassure sur ses capacités de séduction. Encore plus aujourd’hui que la cinquantaine pointe son nez nauséabond et ses flétrissures obscènes.

Appuyée contre la fenêtre, Béatrice Ravner laisse la lumière dessiner à contre-jour son profil aux lignes épurées. Les bras croisés, elle remonte d’un mouvement imperceptible ses seins un peu lourds à son goût, mettant en valeur un décolleté qu’elle sait appétissant. Décidément, cette petite lui plaît. Elle en fera son jouet, comme les autres. Puis, elle s’en lassera.

La jeune femme laisse son regard errer autour d’elle. La voix basse, elle demande, comme une faveur :

‒ Serait-il possible que je revienne visiter ce soir, au coucher du soleil ? Je peux retarder mon voyage d’une journée.

‒ Avec grand plaisir, répond Béatrice la voix soudain voilée. Paupières baissées, elle ajoute sur le ton de la confidence. J’ai pour habitude d’inviter mes clients, mes clientes surtout, dans un petit restaurant, proche de chez moi. Si vous êtes libre, ce soir...

‒ Ce soir ? Voilà qui est inattendu. Mais pourquoi pas ? Je vais noter l’adresse.

‒ Chez Morand. Rue Lenôtre.

La jeune femme sort de son sac un carnet noir, fermé par un élastique, auquel est fixé un long stylo argenté en forme de stylet. Elle note l’adresse, referme l’agenda, le range, remonte ses lunettes noires au-dessus de la frange qui masque son front et fixe, de ses yeux couleur lavande, la femme debout contre la fenêtre, jambes tendues et reins cambrés. Béatrice Ravner, soudain intimidée, s’efforce de rentrer son ventre dans une tentative pathétique d’effacer le bourrelet qui ceinture sa taille.

Sans la quitter des yeux, la jeune femme ôte son imperméable et le pose sur son grand sac de voyage en cuir fauve. Avec lenteur, la bouche étirée en un sourire prometteur, elle chaloupe jusqu’à Béatrice, tout en dégrafant son chemisier. Béatrice a le temps de percevoir la fragrance d’un parfum douceâtre et un éclat sauvage derrière les lentilles de contact. C’est au moment où les lèvres de Fannet se posent sur les siennes que le stylet s’enfonce dans sa gorge aussi aisément qu’un couteau dans une motte de beurre.

​

(à suivre...)

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