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accueil romans
Les habitants du 18 rue du Parc empêcheront-ils la destruction de leur maison, la dernière du quartier ?
Parmi eux, un policier aux lunettes noires,
une pâtissière dans son salon de thé, une vieille dame égarée,
un peintre envouté par une toile,une infirmière «médicamante »,
un bibliothécaire épris de femmes ailées,
un homme posté devant un hôtel,
un autre en liberté conditionnelle,
une mère cherchant ses enfants,
un enfant s’exprimant en synonymes, un faux-muet,
un médecin, un inconnu.
Différents destins confrontés à la perte et ses conséquences.
roman choral
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ISBN: 978955542736
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18 rue du Parc
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Vendredi 14 heures
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Cortège de poids lourds.
Fracas de tôles.
Un camion rempli de gravats déboule rue du Parc. Un autre, lancé à toute allure, ébranle les pavés disjoints.
Ici, la poussière tient lieu d’oxygène. Chargés de l'abattre au sol, les brumisateurs de chantier sont aussi efficients qu’une bruine d’automne sur une forêt en flammes.
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Une salve d’éternuements secoue l’homme immobilisé au bord de la chaussée. Ses bronches, encrassées, se crispent. À peine le temps d’aspirer une goulée de Ventoline, qu’un monstre de métal jaune, trimbalant une pelle gigantesque en équilibre précaire, manque le renverser. L’homme bondit. Son pied bute contre le trottoir. Ses mains râpent le bitume gravillonné.
Chauffard ! grogne-t-il, en se relevant.
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Un champ de bataille s'ouvre autour de lui.
En quelques mois, le quartier, en lisière du parc des Châtaigniers, s’est transformé en terrain de jeux de massacre. Rivés aux commandes de machines géantes ‒ tractopelles, pinces à béton, brise-roches, grappins de démolition ‒ des homoncules, coiffés de casques fluorescents, fracassent, d’une simple pression des doigts, les maisons pétries d’histoire que l’on ne remarquait plus tant elles faisaient partie du paysage.
Dès que l’une s’écroule, les camions, charognards aux ventres de métal, avalent les décombres fumants dans leurs bennes brinquebalantes et les charrient à grand vacarme de grondements de moteurs et de crissements de pneus vers des cimetières de pierres agonisantes.
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Les paumes des mains éraflées, l’homme remonte ses lunettes, époussète son costume gris de belle facture, ramasse son attaché-case et son aérosol.
N’en déplaise au Dr Noiraud ‒ « le Salbutamol est un produit dopant, n’en abusez pas ! » ‒ une inhalation supplémentaire s'impose dans cet environnement pollué à l'extrême.
D’ordinaire, Simon Léchiquier attend le dimanche pour s’aventurer de ce côté du Parc, seul jour où les engins de démolition somnolent sous la garde de vigiles et de leurs chiens.
Pouvait-il ignorer la voix suppliante de sa mère ?
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Un mouchoir sur le nez, il se faufile entre deux conteneurs chargés de débris où s'entassent cloisons éventrées, segments d'escaliers, vestiges de cuisinières, cuvettes de W.C. écaillées. Devant le 18 de la rue du Parc, il contourne, en râlant, une enceinte de barrières métalliques au rôle ambigu : protection ou enfermement ? Un passage étroit, ouvert entre deux grilles, le propulse dans un autre temps.
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Paysage de campagne.
Une allée dallée, colonisée par des herbes folles, serpente entre des massifs de lauriers-roses et de vieux cyprès aux allures de sentinelles. Sur de modestes étendues gazonnées, bordées de cistes et d’abélias, chênes verts et pins parasols voisinent avec des arbousiers et des genets. Des touffes de thym et de romarin parsèment le sol caillouteux.
Simon accélère le pas. Il est rare que sa mère l'appelle. D’habitude, elle laisse ce soin à Leila, sa dame de compagnie. Pour celle-ci, rien de bien grave : « Hier, Mme Léchiquier était en pleine forme. Ce matin, elle s’est réveillée en ayant peur de tout. Sans doute un mauvais rêve... »
Il essayera de la calmer. Peut-être, aussi, lui parler du déménagement probable. Comment lui dire ?
Au détour de l’allée, une image de carte postale accueille Simon.
Carrée, massive, envahie par la vigne vierge, veillée par une poignée d'oliviers centenaires aux branches tourmentées, la vieille bastide, où vit sa mère, semble sortir tout droit d’un livre d’histoire. Coiffée d’un toit de tuiles en terre cuite souligné par deux rangs de génoises, elle élève, avec une obstination sage, ses deux étages. Des balconnières fleuries garnissent la plupart des fenêtres encadrées de volets en bois défraichis, couleur lavande.
La dernière ! se répète Simon.
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Hier, un ensemble d’une dizaine de maisons de deux ou trois étages occupait ce lieu-dit Le Hameau du Parc. En bordure de l’ancienne châtaigneraie, transformée en jardin public, cet espace vert préservé par plusieurs générations de riverains, est devenu un objet de convoitise pour les promoteurs immobiliers. Aujourd'hui, seuls quelques murs branlants, défiant l’inéluctable, rappellent la présence des anciennes habitations.
La maquette, exposée à la mairie, montre les tours de verre et de béton, aux étages innombrables qui se dresseront à cet emplacement autour d’un centre commercial et d’un multiplexe cinématographique à la pointe de la technologie. Des parkings, à perte de vue, quadrillés de rayures blanches, accueilleront, jour et nuit, des milliers de voitures rivalisant d’émissions de CO2 et de particules microscopiques.
Encerclée de grilles métalliques, comme un vulgaire malfaiteur, cette maison persiste à tenir debout malgré le massacre de ses sœurs. La dernière à résister. La dernière à protester. La dernière à tenter d’enrayer la mécanique mise au point par les marchands de béton et les politiciens, au nom du progrès et de la nécessité de loger une population nouvelle, avide de verdure.
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Une pétition, demandant sa grâce, circule dans les bureaux de la préfecture et du ministère au Logement. Pour l’heure, elle bénéficie d’un sursis. Ses habitants, une dizaine de voisins de tous âges, refusant d’obéir à l’ordre d’expulsion. Ont-ils la moindre chance de l'emporter ?
La survie de la vieille bâtisse ne dépend plus que des relations haut placées de Mme Moineau, présidente de l’Association de Sauvegarde du 18 rue du Parc.
Élue meilleure pâtissière de la ville ‒ la dégustation de ses célèbres choux à la crème fait partie du circuit touristique de la région ‒ Mme Moineau, fer de lance du mouvement de résistance, lutte, avec ses armes, contre la destruction de la dernière maison du quartier.
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Une large banderole barre la vitrine de son salon de thé, au rez-de-chaussée du petit immeuble. Noir sur fond jaune, le slogan « Touche pas à mon toit !!! » s’étale en lettres majuscules ponctuées de trois points d’exclamation.
D’autres bannières pendent aux fenêtres au milieu de drapeaux tricolores : « Non à la destruction ! » « Non aux buildings ! » « Ici nous vivons, ici nous mourrons ! »
Le préfet, grand amateur de choux à la crème, aurait suggéré au ministre de classer la maison en invoquant « sa modestie architecturale, typique des constructions anonymes au style non défini ».
‒ Ce galimatias, prétendument technique, n’augure rien de bon ! a lancé Simon lors de l'une des réunions de l’Association.
Le dossier, en cours d’étude, traîne de bureau en bureau, accompagné d’un paquet à l’emballage soyeux, orné de la griffe rose de la pâtisserie Moineau.
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À l’approche de la maison, Simon se fige, respiration suspendue. Une immense dalle de béton, hérissée de tiges métalliques, a poussé depuis sa dernière visite. Tout autour, hommes et machines, semblables à des insectes, s’activent, inconscients de l’horreur qu’ils font naître. Bientôt, une tour aux bords rectilignes, angles pointus et parois de verre, grimpera à l’assaut des nuages.
Le regard désemparé de Simon s’accroche à l’enseigne du salon de thé, « Moineau mère et fille, spécialistes de choux à la crème », phare clignotant au milieu d’un environnement dévasté, ultime bouée de sauvetage avant le naufrage.
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(à suivre...)
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