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En août 2016, lors des incendies qui ravagent le secteur de Vitrolles et de Pennes-Mirabeau, une camionnette frigorifique, poursuivie par des voitures de police, plonge dans le Vallon des Auffes, petit port de pêche de Marseille.
Le lendemain on signale la disparition d'une jeune femme.
Plus tard, le corps d’une femme, vêtue d’une robe de mariée, est retrouvé, flottant dans les eaux du Vieux-Port
Le commandant Merlin mène l'enquête sans se douter que cette disparition va réveiller, chez lui, le souvenir douloureux d'une autre disparition, jamais élucidée, celle de son père quand il avait une dizaine d'années.
Le mystère de l’absence sert de fil rouge aux divers protagonistes de ce roman.
Quel que soit leur rôle (victime, policier, meurtrier…) ils doivent y faire face, ainsi qu’à son corollaire implacable, les retrouvailles, attendues ou redoutées.
ISBN: 978955542729
Sous l'ombrière du Vieux-Port
Extrait
1
Jeudi 11 août 2016 - 8 h 45
Hôpital de la Timone, Marseille
Quand un policier rencontre un médecin…
Le commandant Martial Merlin arpente le couloir du service de traumatologie avec la régularité d’un métronome. Panama défraîchi sur le crâne, chemise blanche à manches courtes, les pouces passés sous les bretelles de son pantalon de lin, il tambourine avec impatience sur son ventre rebondi.
Adossée au mur, la capitaine Léa Modestine feuillette La Provence. À la Une s’étale une photo des gigantesques colonnes de fumée qui s’élèvent aux portes des quartiers nord de Marseille. Plusieurs milliers de personnes évacuées. Trois mille hectares de garrigues et de pinèdes dévastées.
Elle secoue la tête en grimaçant. Chaleur caniculaire, sécheresse, mistral, et la moindre étincelle se transforme en brasier incontrôlable. Elle revient à l’article, en haut de la page des faits divers :
Marseille :
Une camionnette frigorifique plonge
dans le port du Vallon des Auffes. Un mort
Alors que les incendies faisaient rage à Vitrolles et aux Pennes-Mirabeau, menaçant le nord de Marseille, une camionnette frigorifique de près de trois tonnes a fait une chute spectaculaire dans le Vallon des Auffes, hier 10 août, aux environs de vingt-et-une heures. D’après les premiers renseignements, la fourgonnette, qui roulait à vive allure, était prise en chasse par plusieurs voitures de police. Après une fuite éperdue à travers les rues de Marseille elle a heurté le parapet de la corniche Kennedy et a plongé dans le vide depuis le pont surplombant le petit port de pêche.
Le remous des flots a déséquilibré le pointu qui quittait son mouillage. Lucien Lepape, pêcheur bien connu, a été projeté à l’eau. Il semblerait qu’il soit mort sur le coup. Son corps a été transporté à l’Institut médico-légal. Les occupants de la camionnette, deux hommes et deux femmes, en état de choc, ont été hospitalisés à la Timone. Pour l’instant, on ignore les raisons de leur course folle, qui, heureusement, n’a fait aucune victime. S’agirait-il d’une action terroriste ? Tout le monde se souvient de l’attentat tragique du 14 juillet, sur la Promenade des Anglais à Nice, il y a moins d’un mois. Un terroriste, au volant d’un camion frigorifique, a fauché la foule venue assister au feu d’artifice. Quatre-vingt-six personnes ont été tuées et plus d’une centaine, blessées.
Nous devrions en savoir plus dès que l’état du chauffeur et des passagers de la camionnette permettra de procéder à leur interrogatoire, nous a confié le commandant Merlin. En attendant, les services scientifiques de la police vont inspecter le véhicule ainsi que le congélateur qui a été trouvé à proximité. Son contenu n’a pas été dévoilé.
Une photo montre la camionnette, en partie immergée dans les eaux basses à cet endroit, immobilisée à la verticale, le hayon encastré dans le fond pierreux
Modestine referme le journal. Elle sait ce que contenait le congélateur. Elle sait aussi que le véhicule a semé la panique dans les rues de Marseille en tentant d’échapper aux voitures de police lancées à sa poursuite. Pour quelle raison ?
Dans un encadré, on apprend que le pêcheur, tué lors de la chute du poids lourd, envisageait de prendre sa retraite dès la fin de la saison estivale.
− Pas de chance ! marmonne Léa en passant une main agacée sur ses cheveux crépus, malmenant, au passage, ses dreadlocks garnies de perles de couleurs.
− Que dites-vous ? demande Merlin, en ôtant son chapeau.
Visage rond. Cheveux gominés plaqués en arrière masquant un début de calvitie, moustaches et barbiche dessinant un carré presque parfait autour d’une bouche pleine aux lèvres sensuelles, le commandant Merlin, un mètre quatre-vingt-onze, veille à ce que son corps massif soit toujours en mouvement.
− Je dis que vous me donnez le vertige à marcher de long en large.
Du dos de la main, Merlin chasse de fines gouttes de sueur perlant sur son front.
− Tel que vous me voyez, j’exécute une ordonnance médicale délivrée par le docteur Aurélie Lafolie.
− Lafolie ! Encore ? Celle femme finira par vous mener par le bout du nez ! Méfiez-vous, commandant !
Avant que Merlin ne réponde, une porte s’ouvre, livrant le passage à trois blouses blanches. Le docteur Gineste, homme frêle monté sur des talonnettes de plusieurs centimètres d’épaisseur, apparaît, encadré par deux infirmières aux allures de mastodontes.
− Commandant, quel plaisir ! s’exclame le médecin en tendant à Merlin une main délicate, aux ongles manucurés. − Se tournant vers Léa, il s’incline pour un baisemain cérémonieux sous le regard froid des infirmières − Chère Léa, quelle joie de vous revoir.
− Tout le plaisir est pour moi, Richard, répond Modestine en redressant d’un geste maternel le nœud papillon du médecin, rose fuchsia sur chemise noire.
− Désolé d’interrompre ce gentil marivaudage, intervient Merlin en remettant son chapeau. On peut voir les fadas qui ont plongé, hier, dans le Vallon des Auffes? J’ai lu quelque part que la mer représenterait un immense utérus pour les nostalgiques de la vie fœtale. Vous croyez que c’est le cas ?
− Encore votre psychologie à deux balles, commandant, plaisante Léa. Vous auriez dû être psy, plutôt que flic.
Gineste lui adresse un sourire compassé en hochant la tête. D’un geste lent, il remonte ses lunettes rectangulaires au sommet d’un front haut et lisse dévoilant la rondeur enfantine d’un visage presque imberbe.
− Je vais vous causer du chagrin, cher Martial. Croyez que je le regrette. J’aimerais tant vous faire plaisir. Mais ce n’est pas possible, vraiment pas possible.
− Et pourquoi donc ? grogne Merlin, en tambourinant de plus belle sur son ventre.
Gineste se tourne vers les infirmières, les prenant à témoins.
− Ils sont sous le choc. Une chute pareille, ça ne pardonne pas. C’est un miracle qu’ils s’en sortent si bien. Traumatismes, fractures, deux ou trois côtes cassées, rien de vital, certes, mais…
− Mais ?
− Je crains le SSPT.
− Traduction ?
− Syndrome de stress post-traumatique. Quand nous les avons reçus, l’un des hommes pleurait à chaudes larmes. L’autre parlait avec sa mère, décédée depuis peu. L’une des femmes craignait de se noyer en prenant sa douche. Et l’autre marmonnait des prières incompréhensibles qu’elle adressait à une poupée imaginaire. Les sédater s’avérait nécessaire.
− C’est votre marotte de sédater ! s’emporte Merlin. J’avais oublié.
− Croyez-moi. Ils étaient sacrément sonnés !
− Ou très futés, intervient Léa. On ignore pourquoi ils fuyaient. Un homme est mort par leur faute. Feindre le SSPT pour échapper aux interrogatoires, ce n’est pas nouveau.
− Ma chère Léa, je constate une fois encore que la médecine et la police diffèrent dans leur manière de penser. La médecine traite la souffrance quand la police en doute. C’est par prudence que nous les avons plongés dans un coma artificiel de quelques heures. Vous n’en tirerez rien tant qu’ils n’auront pas émergé. Je suis vraiment désolé.
Merlin tire sur ses bretelles, les sourcils froncés, les dents serrées. Encore une fois, les médecins se croient tout permis.
− Quand prévoyez-vous de les réveiller ?
− Dans l’après-midi. Vous pourrez les interroger dès demain. Mais il faudra éviter de les bousculer.
− Vous me connaissez, rétorque Merlin en pianotant sur son ventre une portée de quadruples croches dignes d’un pianiste-virtuose, je suis la douceur faite homme. D’autant que la très honorable capitaine Modestine m’accompagnera.
Gineste accueille le sourire de Léa avec un mélange de soulagement et d’appréhension.
− Dans ce cas…
− Vous m’appellerez dès que nous pourrons les cuisiner ?
Gineste sursaute en ouvrant des yeux indignés.
− Les cuisiner ? Nous nous trouvons dans un hôpital, commandant, pas dans une gargote qui empeste le graillon ! Si vous ne me promettez pas de les traiter avec toute l’attention que leur état nécessite, je leur injecte un cocktail qui les mettra en position de concurrencer la Belle au bois dormant.
− Vous oseriez ?
− Absolument ! Sauf si Léa répond de vous.
− Pas de problème, Richard, le rassure Léa en chassant, d’une caresse, une poussière invisible sur la blouse du médecin. Le commandant peut se transformer en gros nounours inoffensif quand la situation l’exige.
Gineste ramène les lunettes sur son nez en clignant des paupières sous le regard brûlant de la capitaine.
− D’accord, Léa. Je ne peux rien vous refuser, vous le savez. J’ai votre promesse Martial. À bientôt. Ce fut un plaisir de vous revoir.
Ignorant le sourire moqueur de Modestine, Merlin fait claquer ses bretelles et se dirige, à grands pas, vers la sortie.
(à suivre...)