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Mortel Végétal
Un militant de la cause animale et du mouvement vegan est assassiné le jour où il devait présenter, à l’Assemblée européenne, un projet privilégiant l’alimentation végétalienne dans l’Union européenne. A qui sa mort profite-t-elle ? Le commandant Hippolyte Mangin enquête.
ISBN: 978955542767
Mortel végétal
Prologue
Chez Clémence et Benoît Mallureau
18 h 15. Benoit Mallureau franchit le portail de sa propriété au volant de sa voiture. Un sourire satisfait éclaire son visage. Son discours, prononcé devant les industriels de l’agroalimentaire, en marge de la conférence sur la transition écologique, a reçu un accueil plus que favorable. Chaque jour, l’intérêt pour le végétalisme s'amplifie. Consommateurs, associations, médecins et scientifiques se rejoignent sur la nécessité de modifier notre façon de nous alimenter.
Benoit Mallureau coupe le contact. Serre le frein à main. La journée de demain s’annonce déterminante. Au parlement européen, schémas et vidéos à l’appui, Benoit présentera des études qui prouvent l’avantage de la nourriture végétale pour la santé, les animaux, la biodiversité, le climat et la planète. Il proposera une mesure décisive : obligation de servir, dans les pays de l’Union, au moins deux jours par semaine, un menu composé de végétaux, de céréales et de fruits, en excluant tous produits animaux. Seront concernés, dans un premier temps, les organismes publics : écoles, hôpitaux, maisons de retraite, entreprises. Ensuite viendra le tour du secteur privé et de l’ensemble des restaurants, du fast-food aux établissements étoilés. Une campagne d’information incitera les familles à cuisiner des repas végétaux plusieurs fois par mois. La poule au pot d’Henri IV a vécu. Place au vegan bowl, pour tous.
18 h 20. Benoit Mallureau quitte sa voiture. Il avance sur l’allée gravillonnée, bordée de lauriers-cerises, éclairée par des potelets. Se penche sur le massif d’hellébores. Les roses de Noël, pétales fermés, sont endormies. Si son projet est adopté, ses ennemis se mobiliseront à nouveau contre lui. Chaque jour on le menace du sort réservé aux bêtes de boucherie, souvent égorgées encore conscientes, ou de celui des poissons découpés vivants sur le pont d’un chalutier. Sans oublier le risque d’une balle perdue lors d’une battue aux sangliers organisée à proximité de sa maison.
18 h 25. D'un pas souple, Benoit gravit le perron jusqu’à une terrasse carrelée surmontée d’un auvent aux poutres apparentes. À l’instant où il tourne la poignée de la porte d’entrée de son domicile, il lui reste moins de sept heures à vivre.
La soirée se déroule selon un rituel quotidien.
19 h 15. Benoit dîne en compagnie de son épouse, Clémence, de Margot, sa sœur, et de Jules Carné, auteur du blog manger végétal, chef du restaurant vegan tenu par Clémence. Louisa, gouvernante, femme de ménage, confidente et cuisinière selon les heures, a servi un seitan de froment à la sauce soja, sur un lit de patates douces. Dans cette maison, située en bordure de la forêt de Fontainebleau, on applique à la lettre la devise de George Bernard Shaw, les animaux sont mes amis, je ne mange pas mes amis.
Au cours du repas, Jules, appuyé par Clémence, évoque, une fois encore, l’exaspération croissante des producteurs de viande, toutes filières confondues, associés aux pêcheurs et aux chasseurs à la gâchette facile. Benoit hausse ses épaules de rugbyman. Certain de mener le combat du siècle, il ne se laisse intimider ni par les courriers anonymes, ni par les appels téléphoniques masqués, ni par les mails orduriers qu’il détruit sans les lire.
Le comportement de Margot ─ l’accident, comme il la surnomme ─ le préoccupe davantage. Leur mère avait quarante ans à sa naissance. Leur père, quarante-sept. Lui, dix-neuf. Il avait veillé sur la petite dernière comme sur une poupée vivante. Elle a claqué la porte avant que Louisa serve le dessert, une charlotte royale au cacao et aux fruits rouges, préparée à la mode vegane, sans œufs, ni beurre, ni lait. Les oreilles de Benoît résonnent encore de ses cris :
─ C’est ma vie, j’en fais ce que je veux !
On se serait cru au théâtre. La fréquentation de ce Martin, sorti d’on ne sait où, l’a transformée en une adolescente attardée, prête à se rebeller contre tout et n’importe quoi ! Et pas question de rencontrer ce suborneur de bas étage. Margot s’y oppose. À se demander s’il existe vraiment. Inutile de compter sur son épouse pour convaincre la gamine.
─ À vingt-cinq ans, Margot n’est plus une enfant, tu dois l’accepter ! se contente de rétorquer Clémence.
Benoît ne peut s’y résoudre. Pour lui, sa sœur reste la petite fille qu'il a élevée après le décès de leurs parents. Avant de rencontrer Martin, Margot vivait dans un état de chasteté quasi monastique. À présent, elle découche plusieurs fois par semaine et envisage de s’installer avec cet inconnu. Que lui a donc fait cette ordure pour la changer à ce point ?
20 h 15. Après la sortie fracassante de Margot, Benoit téléphone à Lucas, son frère cadet de sept ans, sous le vague prétexte d’un renseignement à lui demander. Les relations entre les deux hommes sont distendues depuis longtemps. Lucas a quitté la maison à quatorze ans, pour un internat, dans le sud de la France. À dix-huit ans, grâce au système Érasmus il part étudier en Espagne. Diplôme d’économie en poche, il s’établit aux Baléares où il ouvre une agence immobilière tournée vers le tourisme. S’il a adopté, par conviction, le régime végétalien, il se soucie peu de l’action militante de son frère. Benoit l’appelle de temps en temps pour maintenir un contact aussi fragile que dérisoire.
20 h 30. Louisa débarrasse la table. Clémence et Jules s’installent devant la télévision. Benoit apprécie l’opéra, mais à petites doses. Quatre heures trente, c’est long. Même pour un Verdi ou un Rossini diffusé en direct depuis la Scala de Milan. Après ces derniers jours occupés à parfaire ses conférences, il aspire au calme. Il monte dans sa chambre.
21 h 15. Benoit remplit la baignoire et se glisse dans l’eau chaude couverte de mousse aux senteurs de lavande.
21 h 45. Louisa lui apporte son infusion quotidienne de tilleul au sirop d’agave.
22 h 50. Il avale un somnifère.
23 h 15. Il feuillette les premières pages de son prochain discours et sombre dans un monde sans rêve d’où il émergera, au matin, la bouche pâteuse, avec le sentiment d’avoir perdu son temps.
Il ignore que cette fois, il n’y aura pas de lendemain.
(à suivre...)