Lettre à Moïse Prophète 1er
Lettre à Monsieur Moïse, Prophète 1er
Monsieur le Prophète,
Il y a quelques millénaires, grâce à vos talents d’orateur, votre passion, votre don de la persuasion, vous nous avez convaincus d’adopter un certain Yahvé, nouveau venu dans un ciel déjà encombré.
La nouveauté exerce un attrait jamais démenti, bien connu des publicitaires et autres marchands de rêve.
En fin bateleur, vous nous avez vanté les qualités de ce dieu nouveau. Grandissime, éternel, infini, omniscient, omnipotent. Créateur de l’univers, des hommes, des animaux et du reste... Impossible de tout citer.
Dieu invisible (une autre nouveauté), il nous promit le ciel en échange de l’observance rigoureuse de multiples interdits et de la croyance sans faille à son existence. Le prier plusieurs fois par jour en rappelant sa grandeur sans égale étant une condition absolue à notre salut.
A l’époque, nous faisions bon ménage avec de multiples divinités, composées de bric et de broc, que nous fabriquions nous-mêmes. Quelques pierres entassées, deux ou trois morceaux de bois alignés ou vaguement sculptés pour les plus habiles, couverts d’or ou d’argent pour les plus fortunés, suffisaient à créer un dieu à qui adresser nos prières pour que la pluie tombe ou que la petite dernière trouve un bon mari. Les dieux sont comme les humains. Certains se révèlent plus doués que d’autres. Quand ils ne nous convenaient plus, nous en changions, tout simplement. Des dieux disparaissaient, d’autres apparaissaient, assurant le renouvellement des générations. Si les plus cotés avaient droit à leur temple personnel, la plupart se contentaient d’un bout de trottoir ou d’une bougie posée sur une fenêtre.
Le polythéisme régnait donc pour le bonheur de tous. Chacun son dieu, un dieu pour chacun et même un dieu pour les dieux. Qu’on l’appelle Zeus ou Jupiter ne change rien à l’affaire.
Monsieur Moïse, séduit par votre discours, (mais avions-nous le choix ?) nous avons abandonné nos divinités au profit d’une religion nouvelle (la nouveauté, toujours !) le monothéisme.
Il a nous fallu du temps pour comprendre que tout ce qui commence par mono doit éveiller notre méfiance. Monotone, monochrome, monopole, monologue, monogame... Du temps aussi pour réaliser qu’un dieu unique, tout puissant, exerçant son contrôle sur les moindres actes de notre vie, interdisant que nous servions d’autres dieux que lui-même, (atteinte avérée aux règles de la libre concurrence) penche inévitablement du côté de la pensée unique, de la dictature, du totalitarisme.
D’ailleurs que savons-nous de ce dieu qui se prétend créateur du monde, alors qu’il ignore que la Terre est ronde et qu’elle tourne autour du soleil ?
Vous en conviendrez, ce monothéisme n’est pas une réussite. Le nombre de guerres où des soldats de toutes obédiences s’étripent au nom de ce même dieu en est une preuve flagrante.
Aussi, en ma qualité de président de l’ARP (Association pour la Réhabilitation du Polythéisme) je remets entre vos mains de prophète − celles-là même qui ont brandi les tables de la Loi − cette pétition, forte de plusieurs millions de signatures.
En ces temps de retour à tout et n’importe quoi ‒ retour à la terre, à la nature, à l’authentique, au folklore, au patois, aux fauteuils Louis XVI ‒ et j’en passe, nous demandons, solennellement le retour au polythéisme. Mais attention ! Le polythéisme dans la laïcité. Nous prônons, tout simplement la nomination des dieux de l’Olympe dans le gouvernement. Six dieux et six déesses, bel exemple de parité avant l’heure.
Imaginez, monsieur Moïse, les ministères que nous aurions. Hermès, aux télécommunications. Ares, aux affaires étrangères ; Apollon, à la culture ; Athéna, à la sagesse (un nouveau ministère à créer), Déméter, à l’agriculture ; Artémis, à l’environnement ; Bacchus, à la fête (un autre ministère à inventer)... Et Aphrodite, ou Vénus, selon que vous la préférez grecque ou romaine, ministre de l’amour, oui, de l’amour, monsieur le prophète !
A la lecture de cette lettre, vous lèverez sans doute la tête, dans l’espoir de recevoir un signe de Celui, qui en toute modestie, se définit comme étant Celui qui est.
Je doute qu’il vous réponde. Certains le soupçonnent de ne pas exister. D’autres soutiennent qu’il a cessé de vivre. D’autres encore prétendent qu’ils l’ont vu partir vers d’autres cieux, dans une autre galaxie, à la recherche d’hominidés pas encore humains, plus malléables que ceux que je représente, ici.
Vous êtes donc seul. La décision vous appartient.
Dans l’attente de votre réponse, je vous prie de croire, monsieur Moïse, Prophète 1er, à mes sentiments les plus polythéistes.
Théo Payen, président de l’ARP