Lisez la chronique de Annie Forest
Dix histoires étonnantes colorées d’une légère touche d’étrangeté Jacques Koskas Editions Vivaces (2023)
(Par Annie Forest-Abou Mansour)
Un entrecroisement entre la psychologie et le suspense
Jacques Koskas n’est pas un inconnu. Psychanalyste, psychomotricien, formateur, mais aussi écrivain, il propose une fois encore (1), pour le plus grand plaisir de ses lecteurs, un recueil de nouvelles intitulé Dix histoires étonnantes colorées d’une légère touche d’étrangeté. Partant comme toujours d’un terrain connu, son expérience professionnelle, sa profonde connaissance de l’âme humaine, il donne à lire dix textes évoquant l’étrangeté de la vie, brossant des tableaux, dans la plupart des cas vraisemblables, inscrits dans des cadres réalistes, qui dérivent progressivement, révélant souvent des déchirements intérieurs, des crises psychologiques, des luttes entre le conscient et l’inconscient, entre le vouloir et le pouvoir, dans la tragédie de la vie et de l’Histoire. Les événements racontés par Jacques Koskas sont souvent une mise en scène de l’inconscient et de l’angoisse. L’écrivain décrit avec précision les ressentis et les émotions, leurs manifestations physiques (« Mes mains sont moites. Mes poumons se figent sur le mode apnée », « Je me réveille en sursaut. Un crissement de métal me vrille les tympans. Il serpente, s’insinue, pulse, martèle mon crâne d’un déluge de décibels », « Le sang me cogne dans la tête »…), tricotant habilement psychologie et suspense, maintenant de la sorte le lecteur en haleine.
Des condensés de vie
Dans des discours à la première personne de femmes (Les enfants ne sont pas responsables), d’hommes (Un carton peut en cacher un autre), d’adolescents (Le masque à la lucarne) et dans des récits à la troisième personne (L’art comme dernière chance), Jacques Koskas présente des fragments de vie importants d’êtres simples et ordinaires souvent en butte à l’hostilité de l’existence, désireux de trouver une solution à leurs problèmes ou à des problèmes sociétaux et historiques.
Dans L’art comme dernière chance, comme dans Un vingt-deux septembre, le narrateur jongle avec les temps : présent, passé, futur se tissent emportant dans des va-et-vient temporels les personnages. Des moments suspendus remplis de l’espoir de changer le déroulement des événements. Mais alors qu’il a vécu le pire, « Les êtres qu’il chérissait le plus au monde avaient disparu », le retour de Tanzman en octobre 1908 n’empêche pas l’Histoire de suivre inexorablement son cours. Hitler, qui se rêvait un grand peintre, sera refusé au concours de l’Académie des Beaux-Arts de Vienne et il passera « du statut d’artiste incompris, rejeté par tous, à celui de dictateur persécuteur sanguinaire » avec toutes les tragiques conséquences connues : l’Europe dévastée, le drame inconcevable de la Shoah.
Juliette, dans Les enfants ne sont pas responsables, subit le poignant bouleversement de la perte de son futur bébé porteur de tous ses rêves, bouleversement d’autant plus immense que cette fausse-couche s’inscrit dans son histoire familiale. Sa mère a vécu le même drame et l’en a rendue responsable : « Je te revois, allongée sur le canapé. Tu refuses que je m’approche de toi. Tu pleures. Tu pointes le doigt vers moi : c’est à cause de toi si mon bébé est mort, Juliette. Parce que tu n’as pas été sage. » Les mots possèdent un immense pouvoir et jouent un grand rôle sur le cerveau, influençant les émotions, les sentiments, les pensées, la personnalité. Les mots négatifs de la mère sont destructeurs. En revanche, les mots du livre à la couverture vierge (« La couverture du livre est blanche, vierge de toute inscription. Pas de titre ni de nom d’auteur »), aux pages « blanches, immaculées », surgissant de manière impromptue, sont positifs pour Juliette. Ce livre que propose à la jeune femme une libraire est le symbole inconscient du vécu de Juliette. Les pages vierges se remplissent de mots et de phrases en lien avec son expérience présente ou passée : « J’aperçois une poubelle sur le trottoir d’en face. Au moment de balancer le livre, une inscription apparaît sur la couverture : ne me jette pas ». Le vide laissé par la mort du foetus se remplit progressivement de réflexions réveillant en elle des souvenirs (« C’est dingue ce bouquin ! Un souvenir émerge avec peine ») et l’amenant à des prises de conscience fondamentales pour elle.
Dans de nombreux textes comme Les enfants ne sont pas responsables, Le masque à la lucarne, Le paradis à nouveau accessible, le narrateur présente des relations plus ou moins compliquées avec des mères envahissantes, égoïstes, parfois toxiques dont les paroles perturbent profondément leur enfant (« C’était pire que de recevoir un seau d’eau glacée sur la tête. Et je t’ai crue. Comment pouvais-je douter de tes paroles ? Tu étais ma mère. La personne que j’ai aimée le plus au monde. Mon modèle. Celle à qui je voulais ressembler, plus tard »), bouleversent leur vie d’adulte, hantent leur esprit. Les paroles de sa mère assaillent constamment les pensées du jeune homme dans Le masque à la lucarne et orientent ses actes : « Je me retiens de lui ordonner de se taire. Il se mettrait à pleurer et maman m’accuserait de manquer de patience ». L’empreinte maternelle indélébile est malheureusement souvent pernicieuse. D’autant plus qu’il n’est pas toujours facile de s’émanciper d’une mère omniprésente qui obnubile les souvenirs, les sensations (« (…) sur mes lèvres un baiser au parfum de jasmin, celui de maman »), l’esprit : une mère souvent idéalisée par certains fils adultes comme Saturnin, dans l’impossibilité de couper le cordon. Pourtant un rien « suffirait », encore faut-il qu’il le veuille. De surcroît, quand elle survient, la prise de conscience que la mère fantasmée ne correspond pas à la mère réelle est douloureuse et difficile à concevoir.
Outre le thème des relations avec la mère, celui de la mort est récurrent chez Jacques Koskas qui tente d’en effacer l’absurdité et la noirceur angoissante en la donnant à voir dans des univers fantastiques ou merveilleux (2), éden aux parfums maternels et aux lumineuses couleurs : « Une fanfare, composée d’insectes colorés, nous précède en jouant l’hymne des mamans parfaites. Les ailes chamarrées des papillons battent la mesure à coups de vibrations lumineuses ». Monde de douces et chaleureuses sensations colorées et parfumées, espèce de retour à l’état foetal où tous les désirs sont comblés. Ce retour vers la mère tant aimée apparaît dans la nouvelle Si monsieur veut bien me suivre : « La tête blottie contre la poitrine généreuse de la femme, François Toussaint murmura d’une petite voix tout va bien, maman » à la femme à la généreuse poitrine, symbole maternel, l’accueillant dans un au-delà aux tonalités extra-terrestres. La mort est appréhendée comme un état paisible, agréable, libérateur : « Je me demande pourquoi vous tenez tant à la vie. Ce n’est que dans la mort que vous pouvez vous libérer, vous dilater, croïtre et vous réaliser ». C’est la continuité positive de la vie.
Divertissement et réflexion
Jacques Koskas divertit et fait réfléchir ses lecteurs sans cuisterie. Dans la nouvelle Jean Valjean ne doit pas mourir, dans des dialogues entre ses protagonistes, dans des espèces de métatextes indirects, le narrateur traite de façon ludique de la création littéraire, de la fonction des personnages, des vases communicants entre eux et l’auteur, du lecteur. Il aborde de nombreux thèmes sérieux avec une légèreté émouvante et même humoristique.
Humaniste, il fait référence sans s’apesantir au sort des migrants (« -Amina ? qui est-ce ? / -C’est ma copine. Ses parents et son frère se sont noyés (…) -S’ils sont morts, c’est trop tard. – Mais il y en a plein d’autres. Ils s’entassent sur des bateaux pneumatiques pleins de trous. Alors ils coulent »), au végétarisme (« Il sait les emportements du garçon, ses colères (…) Capable de rester des heures devant une cuisse de poulet sans la toucher. C’est un morceau de cadavre »), au drame des femmes forcées d’avorter par leur compagnon et à leur révolte d’une violente subtilité comme celle de « Lou(ve)en colère », dans Un carton peut en cacher un autre.
Des nouvelles colorées d’humour
Réalisme, fantastique, science fiction se tissent, créateurs de surprise, d’angoisse, de divertissement. Des notes humoristiques apportées par des situations, celle du narrateur d’Un carton peut en cacher un autre : « je découvris dans une petite boîte horizontale, un objet qui me hérissa les poils. Et pour cause ! (….) Un rasoir à l’ancienne », de François Toussaint, un nom bien choisi pour un défunt, étouffé par un os du lapin « amoureusement occis, saigné, écorché, tranché et mitonné par belle-maman », des jeux de mots (« C’est le genre de propos que pourrait vendre une diseuse de bonne (ou mauvaise) aventure »), teintent les textes, même ceux traitant de la mort, une réalité loin d’engendrer le spleen chez Jacques Koskas.
Dans des nouvelles agréables à lire, à l’écriture précise et juste, Jacques Koskas sonde avec beaucoup d’empathie des pans de vie d’êtres simples proches de ses lecteurs. L’objet livre, quant à lui, est plaisant à regarder avec sa couverture cartonnée brillante décorée de la photographie d’une poupée de chiffon moqueuse et colorée, ses documents iconographiques en noir et blanc ponctuant l’entrée dans chaque histoire. Le contraste entre la couleur et le noir et blanc semble la concrétisation de l’alternance entre les souvenirs, le rêve, le fantastique et la réalité qui se tressent subtilement dans les nouvelles de Jacques Koskas.
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