Angles de rues
ANGLE DE RUES
‒ Qu'attendez-vous ?
‒ Et bien...
‒ Il y a un problème ?
‒ Je ne sais pas...
‒ Vous ne savez pas quoi ?
‒ Comment savoir ?
‒ Savoir quoi ?
‒ Laquelle choisir ?
‒ Je ne comprends pas.
‒ La rue. Comment savoir laquelle choisir ?
‒ Vous prenez celle que vous voulez.
‒ Oui. Mais comment savoir s'il vaut mieux prendre celle-ci ou celle-là ?
‒ C’est simple, vous prenez celle que vous préférez.
‒ Alors, d'accord.
‒ A tout à l'heure. Nous nous retrouvons où vous savez.
‒ Je ne sais pas pourquoi, mais vous me faites penser à quelqu'un... A bientôt.
‒ Et bien ? Encore un problème ?
‒ Je me demandais... comment savoir quelle est la rue que l'on préfère ?
‒ C'est simple. Celle qui vous plaît le plus. Où vous avez le plus de plaisir à marcher.
‒ Et comment savoir dans laquelle on a le plus de plaisir à marcher ?
‒ Il suffit d'avancer. Quand vous avancez, vous marchez, et quand vous marchez vous sentez si c'est agréable ou pas.
‒ D'accord. Mais…
‒ Mais ?...
‒ Pour avancer il faut choisir ?
‒ Tout à fait.
‒ Entre la rue de droite et la rue de gauche ?
‒ C'est aussi simple que cela.
‒ Je crois que le problème est là. Si je choisis cette rue, je ne choisis pas l'autre... et vice-versa.
‒ Et vice-versa.
‒ Supposons... simple supposition... supposons que je choisisse la rue de droite... c'est un exemple. Ou bien... supposons que je prenne celle de gauche. C'est toujours un exemple, d'accord ? Ou bien... pour faire plus simple.... supposons que je choisisse l'une de ces deux rues... ce n'est qu'un exemple, nous sommes bien d'accord ?
‒ Tout à fait.
‒ Et bien, supposons que je marche dans une de ces rues, celle de droite ou celle de gauche... simple supposition...
‒ Absolument.
‒ Une question se pose.
‒ Oui ?
‒ Où est passée l'autre rue ?
‒ L'autre rue ?
‒ Vous voyez bien ! Vous l'ignorez vous-même !
‒ Mais voyons, l'autre rue est toujours là, masquée par le pâté d'immeubles, mais toujours là.
‒ Masquée ? Qui vous dit qu'elle n'est pas rayée de la carte, avec ses maisons, ses habitants, ses animaux, son square ? Vous n'avez jamais entendu parler de disparitions mystérieuses ?
‒ Si les rues disparaissaient comme vous le dites, cela se saurait !
‒ Il n'y a qu'un moyen pour le vérifier !
‒ Ah ! Vous voyez ! Je commençais à m'inquiéter.
‒ Il suffit de marcher dans les deux rues à la fois.
‒ Très bonne idée. Laquelle choisissez-vous ? Je prendrai l'autre.
‒ Je vous en prie. Faites votre choix d'abord.
‒ Cela m'est égal. Laquelle préférez-vous ?
‒ Je me demande si vous ne me rappelez pas mon père ?...
‒ Votre père ?... Vous le voyez toujours ?
‒ Lui aussi me demandait ma préférence.
‒ A propos des rues ?
‒ Il n'a pas dû prendre la bonne. Plus aucune nouvelle. Disparu !...
‒ En tout cas, moi, je me décide. Je prends celle de droite. Vous prenez celle de gauche ?
‒ Vous êtes sûr ?
‒ Absolument !
‒ Supposons que je prenne celle de gauche, puisque vous me l'imposez. Comment saurai-je que la rue de droite existe encore ?
‒ Mais, parce que j'y serai !
‒ Vous, peut-être, mais pas moi !
‒ Et bien, dans ce cas, prenez celle de droite, si vous aimez mieux.
‒ Tout à fait comme mon père... Sauf que lui, me demandait plutôt qui j'aimais le mieux. Vous saisissez ?
‒ Pas vraiment.
‒ Lui ou ma mère...
‒ Ah ?... Quel rapport avec les rues ?
‒ Je l’ignore. Pour les rues je ne vois qu'un seul moyen ! Puis-je compter sur vous ?
‒ Je suis votre homme !
‒ Il nous faut marcher ensemble et en même temps dans les deux rues à la fois !
‒ Vous êtes sérieux ?
‒ Tout à fait !
‒ Vous avez un plan ?
‒ Je réfléchis...
‒ Je réfléchis aussi.
‒ D'autant que d'ici, nous avons les deux rues dans notre champ de vision.
‒ Absolument !
‒ Que proposez-vous ?
‒ C'est vous qui avez téléphoné ?
‒ Oui, monsieur l'agent.
‒ Que se passe-t-il ? ‒ C'est cet homme. Il s'est arrêté à l'angle de ces deux rues. Cela fait un bon moment maintenant. Il ne bouge plus. Il parle tout seul et ne répond pas quand on s'adresse à lui...
Jacques KOSKAS